SE RELIER

30 mai 2018 / By

Imaginez qu’un jour le vase en porcelaine « Art Déco » des années 30 que vous aviez hérité de votre grand-mère rencontre malencontreusement le ballon de foot de votre fil, tombe de la cheminée et se casse.  Deux options se présentent alors à vous. Soit vous jetez amèrement le vase dans le dépotoir le plus proche soit vous l’amenez au restaurateur qui saura restituer l’unité de l’objet en effaçant au mieux la cassure. Selon une ancienne vision asiatique des objets cassés une autre possibilité s’offre à vous. Il s’agit d’une technique japonaise de raccommodage ancestrale appelée kintsugi ou «  jointure d’or ». Selon cette méthode, – dont le nom dérive de kin, « or » et tsugi « relier, réparer », les céramiques brisées sont réparées avec une laque de poudre d’or qui non seulement ne cache pas les fractures mais les révèle en les obstruant. Cette procédure artisanale de réparation à l’or inspire un dépassement de la fracture par le rapprochement des parties séparées qui rehausse la valeur et bonifie la pièce raccommodée. Elle fait le parti pris, émouvant et fascinant, de la réparation visible, glorifie l’art de réparer en reliant, et ainsi de sublimer le lien. De l’art japonais kintsugi se dégage par ailleurs toute une philosophie de vie chère au bouddhisme zen.

Au cours de l’existence nous vivons tous de moments où nous avons l’impression que notre être s’effondre de l’intérieur ne laissant derrière que des tristes décombres. Lorsque dans notre vie nous voyons noscertitudes s’ébranler, quand les espoirs se fêlent ou nous tombons « en mille morceaux » suite à un échec personnel ou professionnel, seule une dynamique de « reliance » peut devenir l’ « or » capable de se glisser fructueusement dans les interstices  laissés par l’accident et nous aidant à restaurer l’unité perdue. De la même façon que nous ne choisissons pas comment une céramique se brise, recoller les morceaux après une perte peut demander un long et immense effortcar il faut réinventer progressivement un équilibre nouveau pour que levase se consolide peu à peu et avec lui la capacité de recevoir la vie de nouveau. Se relier au vivant en soi et en l’autre, restaurer les liens blessés, permet d’intégrer la réparation dans la reconstruction de la vie brisée. Le kintsugi nous invite à voir dans nos schémas périmés qui se détériorent, non pas une menace mais une promesse de nouvelles alliances à inventer. Les « lignes de faille » de l’objet blessé non seulement n’ont pas besoin d’être cachées, mais deviennent des« lignes de reliance » qui lui accordent une nouvelle dimension. C’est la vie qui renaît, offrant une seconde chance. Loin de diminuer la valeur de l’objet réparé, ce processus met en exergue la singularité du vivant car toute chose belle porte en elle des fêlures. Plus encore, grâce à elles, il peut continuer sa vie car elles se métamorphosent dans la promesse d’un nouveau départ. Le mot yoga, dérivé de la racine sanskrite « yug », n’est-il pas aussi un appel à « (se) relier » pour trouver un état d’unité et une complétude oubliées ? Faisons donc denotre existence l’œuvre d’art la plus belle et la plus authentique jamais conçue. Relions-nous à nous-même en acceptant nos cicatrices et magnifions/honorons ? ces parties blessées de nous-même pour qu’elles brillent aussi avec l’éclat et la beauté de l’or pur !

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